28

La porte glissa sur le côté, révélant l’intérieur Spartiate et lumineux du cottage des Skywalker sur Ossus. Mara, de plus en plus troublée par cette sensation de malaise qui n’avait cessé de perturber la Force, traversa la pièce en fermant les yeux, afin de deviner d’où diable pouvait bien provenir cette inquiétude sourde.

— Maman !

Mara rouvrit les yeux et se retrouva nez à nez avec le petit Ben, placé de l’autre côté de la table basse faisant office de seul et unique meuble du salon. Les panneaux muraux coulissants qui séparaient les différentes pièces étaient tous fermés. Il était donc difficile de savoir d’où Ben était venu. Ce dernier pointa le doigt sur les pieds de Mara.

— Tes chaussures !

Mara baissa les yeux et s’aperçut qu’elle avait complètement oublié de retirer ses bottes poussiéreuses une fois entrée dans le hall, comme le voulait la coutume sur Ossus.

— Pas grave. Je les enlèverai plus tard. (Elle contourna la table basse et s’avança jusqu’à Ben.) Dis-moi, tu t’es ramené un petit animal de compagnie de Jwlio ?

Ben écarquilla de grands yeux.

— Un animal de compagnie ?

— Un Killik, si tu préfères, répondit-elle. Que tu aurais essayé de nourrir avec de la viande en gelée et de la pâte de nerf ?

— Les Killik ne sont-ils pas censés être intelligents ? demanda le petit garçon.

— Plus rusés que je le pensais, en tout cas. Pourquoi cette question ?

— Parce qu’elle est devenue mon amie. Pas un animal de compagnie.

Mara fronça les sourcils.

— Tu as bien dit elle, Ben ?

Ben ouvrit la bouche en grand et recula jusque dans la cuisine.

— Je… euh… Ils sont tous…

— Reste où tu es, jeune homme, ordonna Mara. Ne t’avise surtout pas de faire un pas de plus !

— Mais maman…

— Et ne discute pas, ajouta-t-elle sèchement. Ton père viendra te dire deux mots plus tard.

Mara sonda la cuisine à l’aide de la Force et n’y ressentit que la présence de Nanna. Ce qui ne l’empêcha nullement de saisir son sabre laser.

— Maman, ne fais…

— Silence !

Mara continua de s’aider de la Force pour faire coulisser un panneau mural et tomba sur Nanna à genoux, en train d’étaler tranquillement de petits morceaux de viande en gelée sur deux flimsi. Le reste de la pièce semblait, quant à lui, désert.

— Nanna ?

La droïd leva les yeux, apparemment troublée.

— Oui, Maîtresse Skywalker ?

Mara laissa traîner son regard sur trois boîtes vides de viande en gelée, laissées telles quelles sur la desserte.

— N’ayez crainte, fit Nanna. Ben n’a pas mangé tout ça.

— Je l’espère pour lui, rétorqua Mara. Et pour toi. Rien de tel que ce truc-là pour te griller les circuits internes.

La droïd ne parut en aucun cas intimidée.

— Oh, ne vous inquiétez pas. Mes programmes nutritionnels sont à la pointe de la technologie.

Mara pointa le manche de son sabre laser en direction des boîtes vides.

— Qui les a mangées alors ?

La droïd la fixa droit dans les yeux.

— Désolée, Maîtresse, mais je ne peux vous répondre.

— Dans ce cas, comment être sûr que Ben n’est pas le fautif ?

— Je crains que vous ne fassiez fausse route, répondit Nanna. Je sais qui a consommé la viande en gelée. C’est moi qui ai ouvert le garde-manger. Je ne peux tout simplement pas vous dévoiler l’identité du fautif.

— Quoi ? (Mara se servit de la Force pour déséquilibrer Nanna.) Explique-toi.

— C’est un secret, déclara Ben, à l’autre bout de la cuisine. Tu m’as promis, Nanna.

— Pas de secrets avec moi, dit Mara, en projetant la droïd dans les airs. Je te rappelle que je suis sa mère.

— Je le sais bien, Maîtresse, admit Nanna. Mais lorsque l’enfant est en danger, mes programmes…

— Comment ça, en danger ? demanda Mara. Quel danger ?

Nanna finit par regagner le sol.

— Ben m’a dit que vous le tueriez si jamais vous découvriez son petit manège, expliqua la droïd. Et compte tenu de votre état de colère, je dois avouer que ses craintes semblent entièrement justifiées.

— Ben ? (N’obtenant aucune réponse, Mara se retourna pour constater qu’il avait disparu. Elle se lança à sa recherche.) Ben ! J’ai dit…

Nanna vint la rejoindre.

— Je suis confuse, Maîtresse Skywalker, mais avant que vous vous calmiez, je devais vraiment…

Mara se tourna vers la droïd.

— Reste où tu es, magnifique blaster !

Le code d’annulation désactiva Nanna d’un coup sec.

— Laisse-moi m’occuper de ça.

Mara traversa le salon et finit par atteindre la chambre de Ben, où ce dernier était occupé à repousser la cloison du placard.

— Ben, approche… Et plus vite que ça !

Ben plaqua son dos contre la porte du placard.

— Ce n’est pas ce que tu…

Mara se plongea au cœur de la Force et attira son fils jusqu’à elle. Puis elle lui saisit le poignet et – tout en gardant un œil sur la porte du placard – s’agenouilla à ses côtés.

— Ben, on vient tout juste de recevoir un holo de tante Leia, dit-elle. Elle craint qu’un assassin Killik ne se soit introduit à bord de l'Ombre. Si jamais toute la viande en gelée que tu as prise est…

— Gorog n’est pas une tueuse ! s’indigna Ben. C’est ma meilleure amie.

— C’est un insecte, Ben.

— Et alors ? Ta meilleure amie est bien un lézard, non ?

— Ne sois pas ridicule. Ma meilleure amie, c’est tante Leia.

— Ça ne compte pas, rétorqua Ben. Elle fait partie de la famille. Saba est un lézard.

— OK, disons que ma meilleure amie est un lézard.

Mara fut à la fois dégoûtée et terrifiée d’apprendre que son fils s’était lié d’amitié avec une Killik, surtout après avoir entendu les thèses de Cilghal au sujet de l’étrange mécanisme psychique qui rassemblait les Affiliés entre eux. Mais elle songea également aux troubles psychologiques irrémédiables qu’elle pouvait causer chez son fils si jamais elle tuait son « amie » sous ses yeux.

— Si Gorog est vraiment ton amie, dis-lui de venir gentiment jusqu’à moi. On parlera de ça…

Le grincement étouffé d’un panneau coulissant se fit entendre deux pièces plus loin. Tout en agrippant solidement son sabre laser, Mara se servit de la Force pour ouvrir le placard de Ben – et faillit presque l’activer lorsqu’un exosquelette s’écrasa sur le sol. Il faisait environ un mètre de haut, avec une chitine bleu foncé et des mandibules acérées d’à peu près la taille des mains de Mara.

— Ben !

— Je t’ai dit que ce n’est pas ce que tu crois.

— Ne bouge pas de là !

Utilisant la Force pour déplacer les panneaux muraux, Mara traversa deux pièces et découvrit six membres de couleur noire – deux jambes et quatre bras – dépassant de dessous la table qui servait de bureau à Luke. Le meuble entier était en train de vibrer, comme s’il était pris dans un tremblement de terre.

Ben accourut aux côtés de Mara.

— Je croyais t’avoir dit de rester dans ta chambre, fit-elle.

— Impossible, dit Ben. Gorog est effrayée.

— OK. Dis-lui de s’approcher. Tout va bien se passer.

Un grognement profond résonna sous la table.

— Elle n’a pas confiance en toi, précisa Ben.

Mara quitta l’insecte des yeux.

— Tu parles Killik, maintenant ?

— Non, mais je le comprends. Gorog grogna de nouveau, et Ben ajouta : Elle dit que tu es une meurtrière.

Dans la bouche de son fils, les mots eurent l’effet d’une vibrolame plantée en plein cœur.

— Nous avons déjà parlé de ça, Ben. Parfois, il arrive que je sois obligée de tuer. Comme beaucoup de Maîtres Jedi d’ailleurs.

Gorog grommela de plus belle.

— Maman. C’est quoi le sang-froid ? demanda Ben.

— C’est de ça qu’elle te parle ? (Mara s’accroupit pour pouvoir fixer Gorog droit dans les yeux. Mais au lieu de cela, elle se retrouva à contempler une sorte de bave sombre.) Le sang-froid, c’est lorsque tu tues uniquement pour le plaisir. Et moi, je ne fais pas ça.

La Killik rampa lentement, en portant la table sur son dos.

— Elle dit que tu as tué plein de gens par plaisir pour Palpitine, fit Ben. Maman, c’est qui Palpitine ?

— Palpatine, rectifia instantanément Mara. Un très vilain monsieur que j’ai un jour croisé. Comment Gorog connaît-elle son nom ?

Une gerbe de salive marron jaillit de sous la table. Mara l’esquiva avec une grande dextérité, mais durant le quart de seconde qu’il lui fallut pour s’écarter, l’insecte vola jusqu’à elle, avec la table toujours plaquée contre son dos. Mara activa son sabre instinctivement – et entendit Ben crier, malgré le grésillement du laser.

— Ne fais pas ça ! s’exclama Ben. S’il te plaît !

Dans un élan d’amour maternel, Mara désactiva aussitôt son arme et opta pour un coup de pied inversé. Mais au lieu de propulser la Killik à l’autre bout de la pièce, c’est la table qu’elle envoya voler. Quant à Gorog, elle s’effondra au sol.

On entendit un léger grésillement en provenance de la cloison à côté de Mara et une odeur âcre s’immisça dans ses narines. Elle repoussa Ben dans un geste de protection et Gorog lui assena un coup de mandibules en plein dans les chevilles.

Mara heurta violemment le sol. La Killik vint planter une paire de pinces dans ses omoplates et lui attrapa la tête. Puis un appendice en forme de hypo surgit de ses mandibules, avec du venin prêt à jaillir. Mara la frappa à l’aide du manche de son sabre et la Killik gémit de douleur.

— Maman, non !

— Retourne dans ta chambre ! Maintenant !

La Killik agrippa la nuque de Mara à l’aide de ses deux autres bras.

Mara saisit la mâchoire de l’insecte avec sa main libre, donna un grand coup d’épaule et le fit voler au-dessus d’elle. Elle se redressa instantanément. La seconde d’après, la Killik avait fait de même.

Ben était toujours sur le seuil de la porte, à l’autre bout de la pièce.

— Ben, tu me déçois beaucoup, dit Mara. Il faudrait vraiment que tu m’obéisses et que tu files chercher ton père.

— Mais, tu m’as dit d’aller dans…

— Ben ! s’écria Mara. Fais ce que je te dis. Tu as assez d’ennuis comme ça !

Le petit garçon devint tout pâle et la Killik pivota et vint se placer entre lui et sa mère. Elle crut un instant que l’insecte voulait prendre Ben en otage mais il paraissait évident qu’il cherchait lui aussi à le protéger.

— Ben, je crois que Gorog souhaiterait également que tu t’en ailles.

Ben se tourna vers la Killik, puis il demanda à Mara :

— Tu vas la tuer ?

— Ben, je te signale que c’est moi qui saigne.

— Mais tu es Maître Jedi, observa Ben. Ça ne compte pas quand les Maîtres Jedi saignent.

— Tu as vu beaucoup trop de holofilms d’action, fit Mara, en accrochant son sabre à sa ceinture. Mais bon, d’accord, je te promets de ne rien lui faire. A condition que tu déguerpisses sur-le-champ.

Gorog grommela quelque chose au petit garçon.

— Peut-être que tu devrais être plus gentille, dit Ben à la Killik. Et peut-être que ma mère te laisserait rester.

Gorog grésilla et Mara se mit à rêver que C-3PO soit là pour traduire.

— Elle ne passe pas son temps à mentir, protesta Ben. Enfin pas tout son temps…

Gorog leva deux de ses mains et le poussa vers la sortie.

Ben soupira et finit par quitter les lieux.

Mara attendit d’entendre la porte de devant se refermer, puis elle dit :

— Merci pour ce que tu as fait.

La Killik fit claquer ses mandibules et bondit sur elle. Mara utilisa la Force pour parer son attaque surprise. On entendit un violent craquement et l’insecte s’effondra au sol, avec une des ailes qui dépassait sur le côté.

— Je ne comprends pas pourquoi tu t’obstines à te battre, s’étonna Mara. Tu n’as absolument aucune chance de l’emporter…

Gorog bondit de nouveau et vint faire claquer ses mandibules à deux doigts du visage de Mara. Cette dernière se baissa sur le côté et lui attrapa les deux chevilles. Elle tira un grand coup et l’insecte s’effondra une nouvelle fois.

Mais Gorog, qui avait pris appui sur son aile encore valide, se remit sur pied presque instantanément. Mara enroula son coude autour de son genou tubulaire et tira de toutes ses forces. Le membre se brisa dans un horrible crac et la Killik s’écroula lourdement.

Puis Mara agrippa l’autre jambe de Gorog et la lui plia dans une position tout aussi inconfortable et douloureuse.

— OK, c’est bon, finit-elle par déclarer. J’ai promis à Ben de ne pas te tuer. Mais je n’ai pas dit que je n’allais pas te faire mal.

La Killik fit violemment claquer ses mandibules, puis laissa échapper une sorte de vapeur acide qui emplit de larmes les yeux de Mara et lui donna de terribles nausées. Elle tenta de reculer, mais l’insecte était déjà en train de rouler sur sa jambe.

Elle se retrouva tête la première à même le sol, la jambe coincée sous le poids de la Killik. Quatre mains en forme de pinces lui saisirent le mollet et commencèrent à tirer, dirigeant son pied en direction des mandibules. Mara saisit son sabre laser mais elle ne l’activa pas. Ce fichu cafard n’allait pas faire d’elle une menteuse doublée d’une tueuse aux yeux de son fils. Elle essaya de ramper en avant, agrippée aux lames du plancher. Impossible d’avancer.

Puis Mara finit par voir la table qu’elle avait envoyée balader. Elle tendit mentalement la main dans sa direction et la propulsa en plein dans le crâne de la Killik.

Il y eut un vacarme assourdissant et Gorog finit par desserrer son emprise. Mara put enfin se libérer et utilisa la Force pour se redresser. Puis elle se tourna pour s’apercevoir que l’insecte était effondré au sol, à plat ventre et pris de convulsions. Elle se rua à ses côtés et repoussa la table, révélant une entaille d’environ dix centimètres de long à l’endroit où le rebord était venu percuter la tête.

— Nom d’un Bantha !

Mara retira l’unité com portative de sa poche et commença à appeler des secours. Puis elle remarqua que la Killik s’apprêtait à bondir de nouveau.

Elle plaqua son talon sur la plaie béante.

— J’ai dit assez !

Gorog s’écroula, toute tremblante. Mara ressentit la présence de Luke qui arrivait jusqu’à elle. Il la sommait de faire attention et de ne pas tuer la Killik.

Mara jeta un œil sur l’insecte, visiblement frustrée.

— C’est quoi le problème ?

Quelques secondes plus tard, Luke fit son apparition dans l’encablure de la porte, accompagné d’une dizaine d’apprentis.

— Mara, est-ce que tu… ?

— Je vais bien, Skywalker. (Elle saisit la main qu’il lui offrait et baissa les yeux en direction de l’insecte, toujours en état de choc.) Mais je commence à en avoir ma claque que tout le monde me dise de ne pas écrabouiller ce satané cafard.

— Désolé, mais le centre com vient juste de décrypter l’un des messages de Leia. Luke fit signe aux apprentis de s’occuper de la Killik avant d’ajouter : elle affirme que l’insecte peut exploser.